Les salariés absents bénéficient d’au moins 4 semaines de congés payés par an

Home  /  Critique du droit social  /  Congés  /  Les salariés absents bénéficient d’au moins 4 semaines de congés payés par an

On août 20, 2012, Posted by , In Congés,Critique du droit social, With Commentaires fermés sur Les salariés absents bénéficient d’au moins 4 semaines de congés payés par an

Attention !!! Nos conclusions sont partiellement remises en cause par un arrêt de la Cour de cassation (voir l’article « Sauf usage ou disposition conventionnelle contraire, les salariés n’acquièrent pas de congés payés pendant une maladie non professionnelle »), mais nous laissons notre analyse à des fins historiques, prospectives et épistémologique (bref, je me suis trompé).

Un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, 24 janvier 2012, aff. 282/10, Dominguez) est l’occasion de revenir sur la jurisprudence communautaire relative à l’acquisition et la prise des congés payés suite à l’absence d’un salarié pendant la période de référence.

En théorie, il revient à l’État Français de prendre les mesures nécessaires à la transposition de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 qui fonde cette décision.

Toutefois, les conseils de prud’hommes, voire la Cour de cassation, seront sûrement amenés à se prononcer sur ce thème avant que législateur ne s’en saisisse.

Les principes dégagés par cet arrêt sont relativement simples et abondamment commentés (I). En revanche, nous n’avons pas trouvé d’analyse sur les potentiels impacts de cet arrêt en droit interne.

Il est vrai que toute prospective est fragile, mais ce n’est pas parce que nous naviguons dans le probable qu’il ne faut pas prendre de décision.

Alors, n’ayant pas trouvé de doctrine qui aide à trancher sur le sujet, je m’attelle à cet exercice périlleux (II).

I] La jurisprudence de la CJUE sur l’acquisition et la prise des congés payés suite à l’absence du salarié

L’arrêt de la CJUE (CJUE, 24 janvier 2012, aff. 282/10, Dominguez) fait suite à des questions préjudicielles posées par la Cour de cassation (Cass. Soc., 2 juin 2010, n° 08-44834).

En simplifiant à l’extrême, il en ressort que la France :

  • ne peut subordonner l’ouverture du droit à congés payés à une période minimale de travail de 10 jours ;
  • doit s’assurer que les salariés ont droit à au moins 4 semaines de congé par an, même s’ils n’ont pas travaillés pendant la période de référence ;
  • peut moduler la durée annuelle des congés payés selon l’origine de l’absence, à condition que la durée minimale des congés soit toujours au moins égale à 4 semaines.

Par ailleurs, un autre arrêt de la CJUE (CJUE, 22 novembre 2011, aff. 214/10, KHS) permet aux États-membres de prévoir une limitation du cumul des reports des congés non pris. Selon la CJUE, la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 « ne s’oppose pas à des dispositions ou à des pratiques nationales, telles que des conventions collectives, limitant, par une période de report de quinze mois à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint, le cumul des droits à un tel congé d’un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives ».

II] Quelle(s) conséquence(s) pour les salariés français ?

En principe, les salariés ne peuvent revendiquer le bénéfice de cette jurisprudence fondée sur une directive puisqu’une directive non transposée n’est pas directement invocable dans un litige entre employeur et salarié. Concernant la directive n°2001/23/CE du 12 mars 2001, la Cour de cassation a même jugé que « l’article 7, alinéa 6, de la directive susvisée, invoqué par les salariés, n’a pas été transposé en droit interne, de sorte qu’il ne pouvait créer d’obligation à la charge des entreprises » (Cass. Soc., 18 novembre 2009, n° 08-43397 et 08-43398).

Cependant, la CJUE impose également aux Hautes juridictions nationales de « tordre » le droit interne pour le rendre compatible avec son interprétation, c’est-à-dire de tout faire pour interpréter les textes internes dans le sens de cette directive. Or, la Cour de cassation n’hésite pas à interpréter les textes légaux « à la lumière des directives communautaires » (exemple : le report des congés payés en cas de maladie ; Cass. Soc., 24 février 2009, n° 07-44488).

Il en résulte que les effets potentiels de cette jurisprudence en droit interne sont difficiles à prévoir, mais qu’il semble possible de dégager certaines lignes directrices…tout en avouant que nous pouvons nous tromper.

1. Concernant la période minimale de travail de 10 jours pour commencer à acquérir des droits à congés payés

Cela vise essentiellement les salariés qui sont absent pendant toute la période de référence. Selon l’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Soc., 24 juin 1992, n° 89-42.025 ; Cass. Soc., 11 mai 2005, n° 04-44.065), ces salariés n’acquièrent pas de droit à congés payés puisqu’ils ne s’ouvrent pas de droit à ce titre.

En plus clair, les salariés devaient travailler réellement au moins 10 jours (anciennement 1 mois) avant de pouvoir acquérir des droits à congés payés.

2. Concernant l’acquisition de congés payés d’au moins 4 semaines par an, même en cas d’absence du salarié pendant la période de référence

Contrairement au premier principe visant l’ouverture du droit à congés payés, ce deuxième principe relatif à l’acquisition des congés payés n’est pas directement contraire à la loi française.

Certes, certains articles conventionnels ou légaux listent les absences assimilées à du temps de travail effectif pour la durée du congé (notamment l’article L. 3141-5 du code du travail), mais aucun n’énonce que cette liste est limitative.

Or, dans des cas similaires, la Cour de cassation a souvent choisi d’interpréter les textes « à la lumière des directives communautaires » en ajoutant à la loi des prescriptions qu’elle ne prévoyait pas (voir notamment l’arrêt relatif au forfait en jours).

3. Concernant la modulation de la durée annuelle des congés payés selon l’origine de l’absence

Selon nous, au moins deux options s’offrent à la Cour de cassation :

  • décider que toutes les absences ouvrent droit aux 5 semaines de congés payés légaux (voire plus si un accord collectif prévoit une durée supérieure) ;
  • moduler la durée annuelle des congés payés selon l’origine de l’absence (exemple : maintien total pour un accident de travail/maintien limité à 4 semaines pour les maladies non professionnelles).

4. Concernant la limitation dans le temps du report des congés payés acquis

La Cour peut emprunter plusieurs voies, notamment :

  • décider qu’il n’existe pas de date limite de report ;
  • imposer une date butoir de prise des congés payés de 15 mois (exemple pour une absence sur la période de référence du 1er juin 2011 au 31 mai 2012 : les congés payés devant être pris avant le 31 mai 2013 seraient reportés jusqu’au 31 août 2014) ;
  • laisser aux juges du fond le soin de déterminer cette date de fin de prise selon chaque cas d’espèce.

En conclusion, en cas d’absence du salarié sur la période d’acquisition, il est probable que la Cour de cassation, soucieuse de trouver un équilibre, choisisse de :

  • restreindre cette acquisition au minimum communautaire (c’est à dire à 4 semaines), sauf dans les cas où la loi ou la convention collective applicable en disposent autrement (exemple : l’article L. 3141-5 du code du travail qui prévoit l’acquisition de congés payés pendant une période d’un an lors des absences consécutives à un accident du travail ou une maladie professionnelle) ;
  • d’imposer une date butoir de prise de ces congés de 15 mois, sauf dispositions conventionnelles plus favorables.

 


Sources

L’arrêt de la CJUE du 24 janvier 2012

L’arrêt de la CJUE du 22 novembre 2011

L’arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2010

L’arrêt de la CJUE du 22 novembre 2011

La directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003

 

Comments are closed.