Succulente phrase que voilà !
Je la goûte avec délectation et trouve qu’elle mérite d’être décomposée afin d’en extraire toute la saveur.
Les salariés sont des fainéants
Le piquant de la scène, c’est que je suis salarié. Alors, selon l’enthymème implacable de mon interlocuteur, je suis fatalement un fainéant.
Deuxième piment de la discussion, la plupart des dirigeants « oublient » une donnée essentielle : ils sont également salariés.
Certes, ils ont « opté » pour ce statut dans le but de se constituer une retraite de base, mais il est vrai que ce sont souvent ceux qui utilisent le système qui s’en plaignent.
Ils ne veulent pas travailler de nuit
Le contexte est encore plus gratiné : le dirigeant veut que ses salariés qui, depuis plus de 10 ans travaillent de jour, deviennent des travailleurs de nuit dès le mois prochain.
Alors oui, il a une raison, l’entreprise générera plus de profits.
Alors non, il ne comprends pas pourquoi ses salariés refusent.
Bien sûr, de nombreux arguments juridiques s’y opposent.
Je les énumère sans dresser de liste exhaustive :
- modification du contrat de travail ;
- défaut d’accord collectif sur le travail de nuit ;
- défaut de consultation du comité d’entreprise et du CHSCT ;
- délai de prévenance insuffisant ;
- etc.
Cet employeur ne veut pas entendre raison, enfin la raison juridique.
Des arguments méta-juridiques se bousculent dans ma tête pour lui faire comprendre pourquoi des salariés, donc des êtres humains comme lui, ne sont pas forcément heureux de sacrifier leur vie privée pour un but qui n’est pas le leur.
Que l’entreprise s’enrichisse ?
- d’une part, je doute largement que la richesse engendrée leur parviendra un jour ;
- d’autre part, je ne suis pas sûr que c’est le but que tout être humain devrait invariablement poursuivre.
À court d’arguments, je lui réponds : que diriez-vous si vous deviez travailler de nuit le mois prochain ?
BIIIIIIIIIP !!!
Le dirigeant concerné par cette modification hypothétique, mais outrageante (ou cette comparaison grotesque avec de simples salariés) a raccroché le téléphone sans me dire au revoir.
Malpoli !