Salauds de pauvres ! (chronique de l’éviction des pauvres du contentieux du travail)

Home  /  Critique du droit social  /  Doctrine  /  Salauds de pauvres ! (chronique de l’éviction des pauvres du contentieux du travail)

On février 25, 2016, Posted by , In Doctrine, With Commentaires fermés sur Salauds de pauvres ! (chronique de l’éviction des pauvres du contentieux du travail)

La droite en rêvait, la gauche l’a fait :

la programmation de l’ineffectivité du droit du travail.

 

Nous espérions nous tromper (voir « Le code du travail du XXIème siècle : une révolution déjà actée »), mais la parution de l’avant-projet de loi du ministère du travail ne laisse plus de place au doute : la gauche et la droite se rejoignent sur la nécessité de la « refonte » (euphémisme quand tu nous tiens) du code du travaildans un sens défavorable aux salariés.

Nous pourrions apporter de nombreux exemples, mais ne prendrons que celui de l’instauration des plafonds d’indemnisation des licenciements abusifs.

En effet, l’avant-projet de loi élaboré par le cabinet de la ministre du travail (pas d’attaque ad hominem, ça porte malheur) vient définir les maxima suivants :

  • 3 mois de salaire si l’ancienneté est de moins de 2 ans ;
  • 6 mois de salaire si l’ancienneté est d’au moins 2 ans et de moins de 5 ans ;
  • 9 mois de salaire si l’ancienneté est d’au moins 5 ans et de moins de 10 ans ;
  • 12 mois de salaire si l’ancienneté est d’au moins 10 ans et de moins de 20 ans ;
  • 15 mois de salaire si l’ancienneté est d’au moins 20 ans.

À en croire les statistiques, 50 % des salariés percevaient moins de 1772 € par mois en 2013 (pour ceux qui désirent se comparer, voir l’outil de comparaison sur le site de l’observatoire des inégalités). 

Or, comme nous l’avions démontré (voir Fiche n°1 : Est-ce-que ça vaut le coup de réclamer l’application du code du travail ?), pour que la saisine du juge vaille le coût, il faut que le gain espéré par le salarié dépasse au moins 5 000 €.

Même si je ne connais pas l’avenir (sinon je serais milliardaire), il est donc à prévoir que cette mesure dissuade une grande majorité des salariés de faire valoir leurs droits. Et cette grande majorité sera la frange la plus pauvre des salariés.

Puiqu’il a été avancé que les opposants au projet n’apportent pas de solution, en voici une : définir des minima suffisamment dissuasifs (voir « Bref propos sur l’effectivité du droit du travail ») et, si vraiment les employeurs ont besoin de maxima, établir des maxima dégressifs en fonction des revenus des salariés.

Concrètement, payer 6 mois de SMIC est moins douloureux pour une entreprise que 6 mois de salaire d’un cadre dirigeant.

Il m’a été opposé que les montants dégagés par l’avant-projet correspondent aux moyennes des indemnisations qui sont pratiquées lors d’un contentieux prud’homal.

Oui, mais justement, c’est une moyenne.

Et qui dit moyenne, dit doute.

Oui, ce doute qui :

  • du côté employeur, pousse à réfléchir, ne pas froidement décider à coup de chiffre et accepter de transiger « au cas où le salarié gagnerait plus » ;
  • du côté salarié, ouvre la possibilité d’influer sur le montant d’une transaction ;
  • du côté du juge, permet de sanctionner plus dûrement les entreprises les moins scrupuleuses.

Mais ce qui me désole le plus dans cette jolie « refonte », c’est qu’elle viendrait accentuer l’effet Mathieu que nous dénoncions récemment (voir « Bref propos sur l’effectivité du droit du travail ») et pourrait aboutir à la case Germinal (voir « À quoi bon le code du travail ? Germinal, c’est fini ! »:

l’éviction des pauvres du contentieux du droit du travail

 

Comments are closed.