Le régime probatoire des heures supplémentaires protège les employeurs

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On août 13, 2012, Posted by , In Critique du droit social,Durée du travail, With Commentaires fermés sur Le régime probatoire des heures supplémentaires protège les employeurs

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Le titre de cet article peut paraître provocateur.

En effet, il suffit de reprendre la jurisprudence récente de la Cour de cassation pour constater que « des » [1] salariés pourraient [2] obtenir le paiement d’heures supplémentaires sur le simple fondement :

  • de « décomptes sommaires et imprécis qui, effectués de façon agrégée par mois, ne permettent aucune vérification » (Cass. Soc., 12 mai 2012, n° 10-19.484) ;
  • d’un « tableau manuscrit établi pour les besoins de l’instance et non corroboré par des éléments objectifs et contemporains de la période d’exécution du contrat de travail » (Cass. Soc., 3 mai 2012, n° 10-25.909) ;
  • de « tableaux informatiques produits par l’intéressée, non signés par l’employeur, établis à une date indéterminée, qui ne s’appuient pas sur des documents réalisés au jour le jour et ne détaillent même pas les tranches horaires concernées » (Cass. Soc., 31 janvier 2012, n° 10-26.298) ;
  • de « feuilles de présence remplies par lui-même de façon non contradictoire et comportant des erreurs de calcul » (Cass. Soc., 31 janvier 2012, n° 09-72.671) ;

En se fiant à ces arrêts répétés et constants, la jurisprudence relative au régime probatoire des heures supplémentaires semble extrêmement favorable aux salariés.

Pour autant, en reprenant le raisonnement de la Cour de cassation, il est facile de démontrer que rien n’est plus faux de croire que c’est le jackpot assuré pour ces salariés (I).

D’ailleurs, selon nous, la jurisprudence relative aux règles d’aménagement de la preuve des heures supplémentaires pourrait/devrait se montrer encore plus sévère envers les employeurs (II).

I] Le régime probatoire des heures supplémentaires est actuellement équilibré

Reprenons ce que nous dit la Cour de cassation dans son dernier arrêt publié sur le sujet (Cass. Soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928) donc sa jurisprudence la plus aboutie [3] :

« Attendu qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ».

En conclusion, il s’agit d’une règle de preuve partagée :

  • en premier lieu, le salarié étaye sa demande ;
  • en second lieu, l’employeur y répond en fournissant ses propres éléments.

Le régime probatoire actuel parait donc équilibré : si un salarié n’apporte comme élément de preuve qu’un agenda écrit par ses soins pour les besoins de la cause, l’employeur peut toujours y répondre par un agenda manuscrit. Il reviendra ensuite au juge du fond de trancher entre ces deux embryons de preuve.

Cependant, au vu de la résistance des juges du fond, résistance littéralement visible au nombre d’arrêts de la Cour de cassation rappelant ce principe, les employeurs ne semblent pas avoir trop de souci à se faire.

En effet, les juges du fond accueillent rarement des demandes aussi peu étayées. Sûrement parce qu’elles estiment que ce serait laisser le salarié se préconstituer des preuves…en oubliant qu’il en est de même pour l’employeur.

De toute façon, la cour d’appel qui ne voudrait pas se rebeller directement contre la Cour de cassation n’aura qu’à indiquer dans ses arrêts qu’elle a bien pris en compte les « éléments » apportés par chacune des parties, mais qu’elle estime que ceux de l’employeur sont plus significatifs.

II] Mais pourrait (devrait ?) être plus sévère envers les employeurs

Pourtant, il suffit de se reporter aux textes légaux pour avancer au moins deux arguments pour construire un régime probatoire plus contraignant à l’encontre des employeurs.

Tout d’abord, l’article L. 3171-4 du code du travail qui dispose qu’« en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».

Selon nous, cette formulation, en la combinant avec l’article 9 du code de procédure civile, inviterait à ce que :

  • le salarié apporte des éléments à l’appui de sa demande ;
  • l’employeur fournisse, ensuite, au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ;
  • en cas de besoin, le juge ordonne des mesures d’instruction.

Donc, contrairement à ce que nous dit la Cour de cassations dans son arrêt du 24 novembre 2010, le salarié ne devrait pas « étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés », mais seulement apporter des « éléments », qu’ils soient précis ou non.

Ce qui nous semble logique puisque cela voudrait dire que, dès son entrée dans l’entreprise, le salarié devrait conserver des preuves de ses horaires sachant, à l’avance, qu’il y aura un contentieux.

En retour, il revient à l’employeur de justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié et pas seulement d’apporter des « éléments » de preuves.

Si le doute persiste, rien n’interdit au juge d’ordonner des mesures d’instruction.

Cette règle est encore plus justifiée pour les employeurs qui ont l’obligation, sous peine de sanctions pénales, de tenir « à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié » (article L. 3171-3 du code du travail).

En se référant aux textes réglementaires, le décompte individuel de la durée du travail n’est obligatoire que pour les salariés :

En ce qui concerne ces salariés, l’employeur qui ne détient pas ce type de document se prévaut de sa propre faute.

Par expérience, pour éviter l’automaticité de la sanction, certains employeurs ne décomptent pas volontairement les heures effectués par leurs salariés. Ainsi, ils espèrent qu’en cas de contentieux, ils seront moins condamnés, bénéficiant de la mansuétude des juges « comprenant » le pauvre employeur qui ne peut pas tout contrôler [4].

En revanche, concernant les salariés soumis à un horaire collectif, on ne peut que douter de la légalité des décrets qui ne prévoient pas de décompte individuel et qui se limitent à imposer à l’affichage des horaires collectifs.

En effet, rappelons que l’article L. 3171-3 du code du travail impose à l’employeur de « tenir à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ». « Chaque » salarié et pas « des » salariés.

D’autre part, et surtout, l’article L. 3171-4 du code du travail dispose bien qu’« en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié« . Par « le » salarié et pas par « ses » salariés.

En conclusion, je ne peux qu’inciter les conseils des salariés à tenter de creuser plusieurs brèches en espérant que le barrage jurisprudentiel cèdera un jour, notamment en invoquant :

  • le fait que l’article L. 3171-4 du code du travail dispose clairement que le salarié doit seulement apporter des éléments, précis ou non. En retour, il revient à l’employeur de justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié. Au juge d’ordonner des mesures d’exécutions s’il a un doute ;
  • concernant les salariés ne relevant pas de l’horaire collectif et ceux en forfait jour, que l’employeur doit disposer de décomptes individuels et qu’il se prévaut de sa propre faute en ne les fournissant pas ;
  • à titre subsidiaire, des dommages et intérêts pour perte d’une chance de ne pouvoir apporter la preuve des heures/jours supplémentaires réalisés quand l’employeur n’a pas conservé ces décomptes.

Notes

[1] Je dis bien « des » salariés et pas « les » salariés. D’une part, parce que je connais pas « les » salariés, mais « des » salariés. D’autre part, parce qu’en majorité, « les » salariés ont autre chose à faire que de perdre leur temps dans les prétoires (voir fiche n° 1 : Est-ce-que ça vaut le coup/le coût de revendiquer ses droits ?).

[2] Encore faut-il que les cours d’appel de renvoi appliquent la jurisprudence de la Cour de cassation (voir paragraphe sur le sujet).

[3] Rappelons que la Cour de cassation autoproclame l’importance de ses arrêts par une signalétique précise. Notamment le P de l’arrêt publié. Publication qui démontre l’importance qu’elle accorde à cet arrêt (voir article relatif à la hiérarchisation des arrêts sur le site de la Cour).

[4] Argument véritablement invoqué par un employeur devant un conseil de prud’hommes.

 

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