Les non-cadres doivent, en principe, bénéficier des mêmes avantages que les cadres…et réciproquement

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On novembre 28, 2011, Posted by , In Critique du droit social,Égalité, With Commentaires fermés sur Les non-cadres doivent, en principe, bénéficier des mêmes avantages que les cadres…et réciproquement

Depuis deux arrêts retentissants (Cass. Soc., 20 février 2008, n° 05-45.601 et Cass. Soc., 1er juillet 2009, n° 07- 42.675), la Cour de cassation a décidé que la seule différence de catégorie professionnelle (appartenir à la catégorie ouvrier, employée, cadre…) ne pouvait justifier une différence de traitement entre des salariés placés dans une situation identique au regard de l’avantage en cause, que celui-ci ait été institué unilatéralement par l’employeur ou soit le fruit de la négociation collective.

Un exemple vaut mieux qu’un long discours : si une entreprise délivre une prime d’ancienneté aux salariés de la seule catégorie ouvrier, il faudra qu’elle explique pourquoi les salariés des autres catégories (employés, cadres…) ne peuvent pas bénéficier de cette prime. En l’espèce, cette justification sera bien difficile à apporter puisqu’elle doit s’effectuer « au regard de l’avantage en cause ». Or, on ne voit pas bien comment (ni pourquoi) les autres catégories de salariés n’acquièrent pas de l’ancienneté…de la même manière que les ouvriers.

La Haute juridiction a récemment réaffirmé ce principe par deux arrêts du 8 juin 2011 (n° 10-11.933 et n° 10-14.725en y adjoignant un communiqué.

Ces arrêts sont extrêmement controversés [1].

Dans un premier temps, je me suis rangé du côté de la majorité de la doctrine pour critiquer (négativement) ces arrêts (I).

Cependant, le choc de la nouveauté passé, le temps et la réflexion me font dire que ces décisions sont totalement justifiées (II).

I] TOUS les salariés doivent bénéficier des mêmes avantages SAUF justifications objectives au regard de l’avantage en cause

Bien qu’en proie à de vives réactions suscitées par ses deux premiers arrêts, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts confirmatifs le 8 juin 2011 (n° 10-11.933 et n° 10-13.663) et délivré un communiqué dans lequel elle estime « préciser les conditions de mise en œuvre du principe à « travail égal, salaire égal » lorsque l’inégalité de traitement prétendue repose sur des stipulations conventionnelles ».

Selon ce communiqué, « la chambre sociale admet dans cette hypothèse, que la différence de traitement puisse être justifiée par une différence de catégorie professionnelle, dès lors qu’elle a pour but de prendre en compte, notamment (la liste n’est donc pas limitative) :

Pour autant, et comme le communiqué le rappelle, « il s’agira, pour les juges du fond, de procéder aux recherches utiles pour vérifier, sous le contrôle de la Cour de cassation, que tel ou tel traitement catégoriel différencié institué conventionnellement est justifié par une raison objective et pertinente tenant, en particulier, à l’une des raisons énumérées ».

Ainsi, la Cour de cassation dresse une liste non exhaustive de justifications, mais ne délivre pas les raisons objectives et pertinentes qui permettraient d’expliquer ces différences.

II] Un principe d’égalité inter-catégoriel justifié

Si j’ai jugé ces arrêts choquants et obscurs lors de leur publication, ils m’apparaissent, désormais, d’une légitimité et d’une clarté éblouissantes.

Lorsque l’on nait dans une société, on accepte souvent ses distinctions sans les remettre en cause. Pour mémoire, rappelons que la société française a accepté, il y a moins d’un siècle, d’instaurer « un salaire féminin », c’est-à-dire de rémunérer les femmes moitié moins que les hommes qu’elles remplaçaient. La conscience du caractère illégitime de cette loi n’est apparu que bien après.

Concernant les catégories professionnelles, j’étais dans la même erreur : pendant plus de 10 ans que j’applique le droit du travail, j’ai toujours trouvé normal cette distinction entre cadre et non-cadres, puisque je l’ai toujours connue.

Pourtant, à la réflexion, rien ne la justifie.

Tout d’abord, il faut savoir que la notion de cadre n’a pas de définition légale, elle demeure donc très floue [3]. Ensuite, elle diffère selon les conventions collectives. Enfin, elle reste une quasi-exception française [4].

Ainsi, même si la loi permettait de telles distinctions, cette dernière n’en deviendrait pas plus légitime puisque les frontières entre les catégories de population sont trop molles et aléatoires.

De toute façon, la loi ne fait de distinction entre les catégories professionnelles que dans certaines matières bien précises [5]. Selon nous, cela veut bien dire que le législateur ne permet pas de différenciation en dehors de ces domaines bien circonscrits. Laisser les partenaires sociaux décider des avantages à délivrer à une catégorie de salariés pourrait même être déclaré inconstitutionnel.

En effet, si je me rappelle bien mes cours de droit constitutionnel [6], le Conseil constitutionnel a délimité la liberté du législateur : l’État étant débiteur de la réalisation des libertés publiques, donc de l’égalité entre les citoyens, il lui appartient de rendre effectif ce droit et a l’obligation de légiférer suffisamment. À défaut, le législateur s’expose à la sanction de l’incompétence négative [7] qui se concrétise par la déclaration d’inconstitutionnalité de la disposition incriminée.

En conclusion, le fait que la Cour de cassation renvoie au juge le soin de déterminer les raisons objectives et pertinentes qui pourraient expliquer ces différences me paraît doublement légitime :

  • laisser l’employeur ou les partenaires sociaux décider des discriminations à opérer entre les citoyens, en se basant de surcroît sur des catégorie à « géométrie variable », est dangereux pour les libertés publiques ;
  • la complexité des situations ne se laisse pas enfermer facilement dans des critères prédéfinis et théoriques. Seul le juge peut, au cas par cas, faire ce travail de vérification.

Il en résulte que je ne vois pas comment la chambre sociale de la Cour de cassation aurait pu décider autrement.

Personne ne trouverait choquant que la Cour interdise aux entreprises qui désire vendre un produit ou un service d’effectuer des distinctions entre les citoyens/consommateurs sur des critères sans fondement, alors pourquoi l’accepter quand ce citoyen/salarié entre dans l’entreprise ?

On peut même se demander si la Cour de cassation n’aurait pas pu prendre une position plus extrême, mais qu’elle a plutôt recherché à concilier plusieurs principes (égalité/liberté/représentation du personnel…).

En effet, s’il revient au législateur de mettre en oeuvre ce principe d’égalité, alors pourquoi permettre aux partenaires sociaux d’instaurer des « discriminations positives » sans contrôle a priori ?

En poussant le raisonnement, la Cour de cassation aurait pu interdire aux partenaires sociaux de créer de telles inégalités en dehors des cas légaux.


Sources

 Arrêt du 20 février 2008

 Arrêt du 1er juillet 2009

 Arrêts du 8 juin 2011

 Le communiqué de la Cour de cassation relatif aux arrêts du 8 juin 2011


Notes

[1] Du moins, dans le microcosme des juristes en droit social.

[2] D’accord, je suis un peu lent.

[3] Pour qui s’est déjà penché sur la définition des cadres, on ne peut pas dire que la frontière soit si étanche que cela avec celle des employés, surtout depuis que le critère d’encadrement du personnel n’est plus appliqué.

[4] BOLTANSKI Luc, Les cadres, Les éditions de minuit.

[5] Notamment au niveau de la durée du travail et pour les élections professionnelles.

[6] Là, je sors de ma compétence. À vérifier auprès d’un juriste de droit public.

[7] PRIET François, L’incompétence négative du législateur, RFDC 1994, p. 59.

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