Bref propos sur l’effectivité du droit du travail

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On janvier 5, 2016, Posted by , In Doctrine, With Commentaires fermés sur Bref propos sur l’effectivité du droit du travail

L’engorgement des conseils de prud’hommes le prouve.

L’expérience me le confirme chaque jour.

La majorité des entreprises n’appliquent pas le droit du travail.

 

À d’autres de rechercher si c’est volontaire ou non. Je ne fais que le constater. Alors comment le rendre plus effectif ?

En ce qui nous concerne (voir les autres définitions possibles du terme « effectivité »), nous circonscrirons cette notion « d’effectivité » à un seul questionnement :

Comment faire pour que le droit du travail soit appliqué par la grande majorité des entreprises sans forcément passer par la case contentieux ?

En cette période de « refonte » du code du travail, c’est une question primordiale : ce n’est pas tout de définir les « principes fondamentaux du droit du travail », encore faut-il s’assurer qu’ils seront appliqués.

Or, en 15 ans d’expérience, je ne peux que constater l’ineffectivité du droit du travail (I). Ce n’est que récemment, par deux lois dites « de droite », que j’ai pris conscience qu’une des voies à explorer pourrait être la sanction financière administrative (II).

Bien entendu, il existe bien d’autres voies, notamment celle que la Cour de cassation semble avoir minutieusement, patiemment et affectueusement creusé  : administrer des paires de claques à grand coup de sanctions judiciaires « automatiques » (III).

I] L’inefficacité des sanctions financières d’un montant dérisoire

Croyez-moi ou pas, la majorité des dirigeants ne raisonnent pas en légal/pas légal, mais en termes de risques encourus.

Les questions qu’ils se posent ne sont pas, suis-je en droit de faire ceci ou cela ? est-ce moral ?

Mais plutôt, combien va me coûter telle ou telle décision et quels sont les risques pour ma propre personne ?

Un peu comme si un tueur se posait la question : oui, j’ai bien compris que c’était interdit, mais combien si je me fais prendre ? Mieux, pour certains, le raisonnement est le suivant : ce n’est pas tuer qui est interdit, c’est se faire attraper.

Autrement dit, en droit du travail, il n’est pas interdit de licencier, cela coûte plus ou moins cher. 

Or, en général, ça ne coûte pas assez cher.

C’est un fait : à part dans des cas exceptionnels (salariés protégés, salariés-dirigeants…), les sanctions financières ne sont pas assez dissuasives.

D’ailleurs, selon la thèse de certains auteurs (et la nôtre, voir Fiche n° 1 : Est-ce que ça vaut le coup de réclamer l’application du droit du travail ?), les salariés seraient dissuadés de saisir le juge parce que le ratio coût(s)/avantage(s) leur serait défavorable. Seuls les salariés les plus riches ou n’ayant aucune difficulté pour retrouver un travail auraient intérêt à saisir les prud’hommes.

Nouvel exemple de l’effet Mathieu : le droit du travail protège ceux qui n’en ont pas le plus besoin.

Il faut donc trouver d’autres voies.

II] L’efficacité des sanctions financières administratives même hypothétiques

Dans un premier temps, il peut être proposé d’augmenter les sanctions minimales, mais ce n’est pas suffisant ou, dans certains cas, pas nécessaire.

En effet, j’ai de plus en plus souvent affaire à des dirigeants qui savent qu’ils ne seront présents dans l’entreprise que durant 5 années ou le temps d’un LBO.

Alors, que la bête meure après leur départ, ça les indiffère.

Or, les contentieux, ça peut facilement durer plus de 5 ans (voir Fiche n° 1 : Est-ce que ça vaut le coup de réclamer l’application du droit du travail ?). Ils ne seront donc jamais impactés par ces sanctions.

C’est pourquoi, en plus de l’augmentation des sanctions résultant d’un contentieux, il faudrait instituer des sanctions administratives directement applicables et d’un montant dissuasif.

Au moins, deux lois dites « de droite » ont, en partie, emprunté cette voie :

Concrètement, l’employeur qui refuse de négocier/écrire un plan d’action sur ces thèmes, se voit appliquer une pénalité de 1 % de la rémunération des salariés (tous les salariés au titre de l’égalité femmes/hommes ou seulement des salariés exposés à la pénibilité).

Certains me diront (j’ai l’ouïe toujours aussi fine) que cette sanction est hypothétique puisqu’elle est subordonnée à la constatation de l’infraction par le contrôleur ou l’inspecteur du travail, qui laisse ensuite 6 mois à l’entreprise pour se mettre en conformité et ce n’est qu’à défaut, que le directeur de la Direccte peut décider d’appliquer la pénalité, de surcroît, en la modulant selon le contexte de l’entreprise.

Cependant, cette sanction nous paraît quand même intéressante au niveau de l’efficacité et ce, à plusieurs niveaux :

  • avant ces lois JAMAIS les entreprises ne m’ont consulté sur ces thèmes. C’est dire que la sanction est dissuasive et/ou que le contentieux sur ces sujets leur paraissait bien lointain ;
  • si l’employeur est sanctionné (et cela ne viserait que les employeurs récalcitrants), il lui revient de saisir le juge. Ce n’est donc plus aux salariés de risquer un contentieux pour voir appliquer les règles légales.

Si le législateur a fait preuve d’innovation, la Cour de cassation n’est pas en reste.

III] L’efficacité des sanctions judiciaires « automatiques » d’un montant dissuasif

En effet, les magistrats de la chambre sociale ont décidé de mettre à la charge des employeurs des sanctions judiciaires « automatiques ». Je mets le mot automatique entre guillemets puisqu’il faut tout de même saisir le juge.

Cependant, si le salarié saisi le juge, il sait (enfin son avocat sait, voir conclusions de mon article À propos de certains commentaires de l’arrêt accordant un « 14ème mois »), qu’il sera automatiquement indemnisé.

Sans pouvoir faire remonter cette jurisprudence à une date certaine, je dirai que cela fait près de 10 ans que la Cour de cassation a emprunté au moins deux voies complémentaires :

Certes, dans les deux cas, le montant de l’indemnisation est laissé à l’appréciation des juges du fond.

Pour autant, c’est déjà ça :

  • ce n’est plus au salarié d’apporter une preuve que seul l’employeur détient ;
  • si le législateur « oublie » d’associer des sanctions à une loi, l’employeur ne doit pas pour autant s’estimer exonéré de l’appliquer ;
  • par expérience, le fait qu’une sanction soit « automatique », incite fortement les entreprises à appliquer la loi.

En conclusion, nous espérons que la « mission des Sages » chargée de la refonte du code du travail n’oubliera pas le volet « efficacité » du droit du travail notamment en prévoyant des sanctions financières administratives et judiciaires d’un montant suffisamment dissuasif pour que les entreprises l’applique.

Pour autant, preuve que nous ne sommes pas partisan de la répression systématique, du moment que le contrôle administratif soit exercé, une sanction même hypothétique nous paraît efficace  :

Comme quoi, la peur d’une bonne paire de claque peut parfois suffire.

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