À propos de certains commentaires de l’arrêt accordant un « 14ème mois »

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On juillet 31, 2012, Posted by , In Critique du droit social,Doctrine, With Commentaires fermés sur À propos de certains commentaires de l’arrêt accordant un « 14ème mois »

Why

Un arrêt de la Cour de cassation (Cass. Soc., 13 juin 2012, n° 10-27395) a récemment fait l’objet de critiques plus ou moins virulentes notamment de la part d’un auteur [1].

Selon nous, cet arrêt étend de manière indiscutable le principe de résolution de conflit entre avantages relevant d’accords collectifs différents aux avantages relevants d’un accord collectif et ceux du contrat de travail (I).

Si l’arrêt nous semble effectivement critiquable, il n’en demeure pas moins explicable (II).

Mais surtout, il ne justifie en rien les attaques virulentes adressées aux salariés qui seraient, d’après cet auteur, forcément de mauvaise foi, immoraux et peu scrupuleux (III).

I] Les avantages contractuels et conventionnels peuvent se cumuler à condition de ne pas avoir le même objet et la même cause

Selon cet arrêt, « si en cas de concours de stipulations contractuelles et de dispositions conventionnelles, les avantages qu’elles instituent ne peuvent se cumuler, c’est à la condition qu’ils aient le même objet et la même cause. Et attendu que la cour d’appel, qui a retenu que le treizième mois prévu par le contrat de travail constituait une modalité de règlement d’un salaire annuel payable en treize fois, alors que la gratification instituée par l’accord d’entreprise du 19 octobre 1988 constituait un élément de salaire répondant à des conditions propres d’ouverture et de règlement, a pu en déduire que ces avantages n’avaient pas le même objet ».

Cette démarche nous paraît totalement justifiée puisque, en pratique, le terme de « treizième mois » recouvre souvent des réalités bien différentes. Sous la même dénomination, se retrouve des gratifications aux objets et causes bien distincts (donné en juin pour les vacances, en décembre pour noël, pour récompenser la présence du salarié, proratisé ou non, etc.). Il revient donc aux juges de rechercher la finalité et la raison de l’instauration de cette prime.

De nombreux arrêts ont fixé ce principe concernant les avantages relevant de conventions collectives différentes (notamment Cass., ass. plén., 18 mars 1988, n° 84-40083).

La Cour de cassation l’a également appliqué entre un avantage contractuel et un avantage conventionnel à l’occasion d’un arrêt plus ancien (Voir Cass. Soc., 6 décembre 1998, n° 96-42691), mais en publiant cet arrêt du 13 juin 2012, il nous semble que la Cour désire en asseoir le principe [2].

II] Un arrêt critiquable, mais dont les « motifs des motifs » sont intelligibles

Tout d’abord, même si nous ne sommes pas spécialiste de la cassation, il semble que la Cour renvoie aux juges du fond le soin de décider si les avantages ont ou non le même objet et la même cause.

La critique serait donc, en premier lieu, à l’encontre de la cour d’appel.

Il est difficile de savoir ce qui a emporté la conviction des juges du fond, mais le fait que l’un des treizième mois soit une gratification attribuée en fin d’année et l’autre un salaire contractuel divisé en 13 mois (enfin en 12 mois + 1/2 mois en juin + 1/2 mois en septembre) semble avoir joué en faveur du salarié.

Pour autant, à se fier aux moyens annexés à l’arrêt, la cour d’appel n’explique pas vraiment en quoi cette gratification et ce salaire contractuel n’auraient pas le même objet et la même cause.

Dit autrement, la cour d’appel n’a pas mis en lumière une différence d’objet et de cause, mais une différence de versement. En ce sens, nous rejoignons les critiques d’une partie de la doctrine [3] et pensons que la cassation s’imposait afin que la cour d’appel de renvoi mette en exergue cette différence d’objet et de cause.

Selon nous, les raisons de cet arrêt de rejet résident plutôt dans « les motifs des motifs » [4].

En effet, dans le cas de figure le plus plausible où le salarié n’avait pas connaissance de cette gratification conventionnelle lors de son embauche, ce dernier pouvait légitimement croire qu’il avait réussi à obtenir ce treizième mois par le biais de la négociation de son contrat.

Or, une fois fois dans l’entreprise, il constate que ce treizième mois n’était en fait que la simple application de la convention collective d’entreprise.

Si l’intention de la société était de contractualiser cet avantage, pourquoi le contrat de travail ne stipule pas que ce 13ème mois correspond à la gratification prévue par l’accord d’entreprise, mais versée sur une périodicité différente ?

L’autre « motifs des motifs » le plus probable est d’ordre juridique : il est de jurisprudence constante qu’une prime de nature conventionnelle « ne peut être intégrée, sans l’accord du salarié, dans la rémunération contractuelle » (Cass. Soc. 23 octobre 2001, n° 99-43153).

Or, au moment de son embauche, le salarié ne pouvait pas donner son consentement à une telle intégration. En effet, à moins que l’employeur lui ait délivré l’accord d’entreprise lors de la signature du contrat, comment pouvait-il soupçonner l’existence même de cette gratification ?

Juger l’inverse, revenait à admettre qu’un salarié contractualise un avantage conventionnel…dont il n’a pas encore connaissance.

III] Des arguments « faibles » et des attaques ad hominem superfétatoires

Tout d’abord, passons rapidement sur les arguments que nous qualifierons de « faibles » :

  • La cour d’appel n’aurait pas recherché « la vérité authentique » 

La vérité authentique ? Mais laquelle ? Celle de l’employeur ou celle du salarié ?

Par définition, s’il y a litige, c’est qu’il y a interprétation différente de la réalité. Il revient justement au juge de se faire une opinion de la « vérité authentique ».

« Vérité authentique » qui n’existe en fait jamais puisque, sans entrer dans une philosophie de comptoir (mais un peu quand même), nous naviguons tous dans le probable, mais chacun dans sa propre réalité, alors parler d’une « vérité authentique »…

  • Cette démarche « conduit au final à dénaturer la vraie substance de l’accord intervenu, entre le salarié et l’employeur, au moment de l’embauche »

Là encore, quelle est « la vraie substance de l’accord intervenu entre le salarié et l’employeur » ?

L’existence de ce contentieux prouve exactement le contraire et, à moins que le commentateur ait été présent lors de l’embauche, comment peut-il connaître la « vraie substance » de cet accord ?

De toute façon, rappelons que le contrat de travail est, le plus souvent, un contrat d’adhésion : on voit mal le salarié négocier âprement son contrat de travail en osant demander si ce treizième mois lui est bien accordé à titre contractuel…au risque de ne pas être recruté (puisqu’il met en doute la probité de l’entreprise).

Maintenant, passons aux invectives :

  • « Les juges ne vérifient pas toujours si le salarié est, ou non, de bonne foi »

Encore heureux !

Rappelons que la bonne foi est présumée : si elle est accordée aux employeurs (Cass. Soc., 27 juin 2012, n° 10-27671), on ne voit pas bien pourquoi elle ne serait pas accordée aux salariés.

Il revient à l’employeur de démontrer la mauvaise foi du salarié et pas au salarié de démonter sa bonne foi [5].

En l’occurrence, il suffit de reprendre les moyens annexés à l’arrêt commenté pour constater que si un doute sur la bonne foi de l’un des protagoniste peut planer, ce n’est sûrement pas sur le salarié.

En effet, cette société a quand même été condamnée pour non paiement des heures supplémentaires, inégalité salariale et enregistrement illégal des conversations téléphoniques d’un représentant du personnel [6] !

Excusez du peu !

  • Cette construction juridique ne garantit pas « le respect de l’équité élémentaire. Voire de la morale »

Saisir le juge et obtenir gain de cause serait inéquitable et immoral ? Intéressant.

À moins que l’auteur connaisse personnellement le salarié, comment peut-il préjuger de sa moralité ?

  • « Cela ne peut que favoriser l’instrumentalisation de la règle de droit par des demandeurs peu scrupuleux, cherchant à profiter d’effets d’aubaine et à obtenir des avantages que l’entreprise n’avait jamais envisagé leur consentir et qu’eux-même n’ont jamais négocié »

À suivre ce raisonnement, les salariés ne devraient jamais oser réclamer l’application des minima conventionnels négociés au niveau des branches professionnelles puisqu’ils obtiendraient « des avantages que l’entreprise n’avait jamais envisagé leur consentir et qu’eux-même n’ont jamais négocié ».

Plus sérieusement, concernant le caractère peu scrupuleux du demandeur, d’où l’auteur tient-il cette information ?

De plus, quand on connaît le déroulement d’un procès prud’homal, nous souhaitons bonne chance aux salariés peu scrupuleux qui voudraient chercher « à profiter d’effets d’aubaine » (voir Fiche n° 1 : Est-ce que ça vaut le coup/le coût de revendiquer ses droits ?).

Si ces arguments sont vides de sens, alors pourquoi y répondre ?

Parce que les mots sont plus que des mots : ils modifient notre appréhension du monde.

D’ailleurs, ce genre de commentaires désobligeants et stigmatisants sont à l’origine de la création de ce site (Voir l’article « Pourquoi ce site ? »). Commentaires d’autant plus incompréhensibles, qu’en l’espèce, les faits reprochés à l’entreprise étaient suffisamment graves pour justifier la prise d’acte du salarié.

En tout état de cause, pourquoi ne pas blâmer l’avocat du salarié ?

En effet, sauf cas extrêmement rares [7], ce sont bien les avocats qui soulèvent ce genre de moyens car je doute largement que les salariés disposent des connaissances juridiques suffisantes pour raisonner ainsi [8].

Est-ce-à dire que les avocats sont de mauvaise foi, immoraux et peu scrupuleux ?


Sources

L’arrêt de la Cour de cassation du 13 juin 2012

La fiche n° n° 1 : Est-ce que ça vaut le coup/le coût de revendiquer ses droits ?


Notes

[1] M. Alain Dupays, Chronique « Quand 12 +1 = 14 », Bulletin Lamy Social n° 270, juillet 2012, spéc. page 6.

[2] Rappelons que la Cour de cassation autoproclame l’importance de ses arrêts par une signalétique précise, notamment le « P » de l’arrêt publié. Publication qui démontre l’importance qu’elle accorde à cet arrêt (voir article relatif à la hiérarchisation des arrêts sur le site de la Cour).

[3] Notamment Mme Marie Hautefort, « treizième mois prévu par accord, treizième mois prévu par contrat, choix ou cumul ? », JSL n° 326.

[4] Pascal Deumier, Les « motifs des motifs » des arrêts de la Cour de cassation.

[5] D’ailleurs, comment prouver sa bonne foi ?

[6] Et peut-être à bien d’autres chefs de demande, mais nous n’avons pas accès à l’arrêt de la cour d’appel pour le confirmer.

[7] Notamment le salarié représenté par un délégué syndical ou celui qui décide de se défendre seul.

[8] Faites le test : sans même parler de l’interprétation de cet arrêt, demandez à des salariés lambdas s’ils peuvent obtenir un 14ème mois 

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